Une excitation, une effervescence et une certaine urgence me pousse a m’assoir dans cette mini voiture, un sac sur les genoux, un autre sur le toit et un compagnon allemand sur le siège arrière. Le jeune gitan porte un masque sur le nez et la bouche. Après une pétarade de noire fumée et des mots avec divers personnages, nous nous éloignons de l’aéroport, à l’embrasure du dédale de ruelles de Katmandou, 1350 m au dessus de la mer.
A chaque nouvelle arrivée c’est la même émotion qui surgit, a chaque nouveau pays, les premières minutes sont les plus riches de découverte, a chaque pas c’est un peu plus de réalité qui s’étale et me pénètre. A cet instant, tout n’est qu’inconnu, les bâtiments nouveaux défilent sans rien m’évoquer, des personnes passent sans jamais leur avoir parlé, les noms de quartiers ne retiennent pas mon attention. C’est l’univers de la première fois, du premier œil, de la première impression. C’est l’instant critique où mes préjugés de toujours se confrontent à la vérité du lieu. Peu de chose m’ont apporté une telle intensité. Parce que cette pulsion de l’œil neuf est incontrôlable, qu’elle dure souvent plusieurs heures et a ceci de remarquable que la puissance de sa bienveillance est partisane de chaque instant, que chaque toute petite chose banale et ridicule, apportant une satisfaction a votre curiosité qu’aucun livre ne vous inculquera jamais. Peut être aussi que la beauté de ce sentiment de lévitation qui ébauche avec autant de perspicacité le réel, réside dans sa nature unique et éphémère. Jamais, l’on ne retrouvera ce regard là, a cet endroit précis. Seule cette vision perçante est capable de regarder, ce regard libre de virevolter par delà la globalisation et les interprétations. Cette sensation jaillit et puis s’envole. Elle n’existe que dans le présent, dans la seconde singulière où le regard se pose. Elle ne vous laisse alors que la douce intensité d’une vie qui étend sous nos yeux les prouesses de la diversité avant de s’étouffer pudiquement.
A ce titre, Katmandou est une des arrivées des plus marquante. Ce petit taxi traverse les ruelles escarpées et très fréquentées de la capitale, sans que jamais nous ne puissions accélérer. Le soleil s’économise a mesure que nous traversons les époques. L’air est particulièrement chargé en co2 mais l’ambiance dégage quelque chose d’ancien, presque médiévale. La fraicheur me libère de 3 mois de chaleur accablante. 2h de rodéo à travers les bouchons ou les marchés, respirant les gaz d’échappements, ou frôlant du capot de vague personnage s’exprimant a cette occasion avec véhémence. Certain marchands doivent ranger leurs étalages pour bous laisser passer, certaines vaches demeurent impassible au milieu des chemins, nos roues frôlent les sacs d’épices, des cochons reniflent un caniveau bousculer par un rickshaw, les gens tapent sur le capot, cris, s’engueulent, gesticulent dans un bazar sans nom. Et moi, je souris a ce nouveau monde, me laissant guider dans un univers radical, loin de la pudeur de l’Asie du Sud-Est. Mon chauffeur m’apprend qu’il n’y a aucun code de la route au Népal. Ca ne me choque plus mais me fascine.
Ces premières heures concrétisent a merveille mon désir de changement. Je me sens léger, poussé par une multitude de possibilités. Dans la fraicheur nocturne, je trouve un petit restaurant qui deviendra bien vite mon repère avant de passer une nuit calme, où les rêves s’emmêlent.
L’organisation d’un trekking occupera mes premiers temps. Mon rêve est de voir l’Everest. Je glane des informations sur les parcours, les durées et les prix. L’industrie du trekking me propose de nombreuses prestations et d’ailleurs dés mon réveil, puisque sur le toit de l’hôtel, je déjeune avec un patron soucieux de pervertir un nouvel arrivant, entre un soleil agréablement doux, un air merveilleusement frais et le svastika, symbole cosmique millénaire, connu par chez nous comme la croix gammée. Mais ces népalais ont une façon tout a fait agréable d’organiser une conversation en dialoguant de façon personnelle, autour d’un thé ou autre mets du pays. Plus ou moins légaux d’ailleurs.
Le choix n’est pas facile, les prix moyennement attractif, les formules nombreuses et la fréquentation des itinéraires parfois impensable. Ainsi, c’est 400 touristes/jour qui arpentent les chemins parfois dénaturés du fameux Tour des Annapurna. Une option qui ne me convient guère malgré la flagrante beauté du lieu. Un site magnifique me parlera-t-il tout autant avec une foule de personnages déferlant autour de moi ? Je n’en suis pas sur. Quand à l’Everest, la randonnée sans avion dure 24 jours. La location du coucou quand a elle augmente de façon substantielle le prix de l’activité. Alors, au calme dans cette cité qui m’amuse, je détermine ce qui est important pour moi et décide d’aller dans le Nord du pays. La région du Langtang est parait-il superbe, d’une fréquentation 10 fois inferieur aux Annapurna et d’un prix raisonnable. Ainsi 3 jours après mon arrivé, j’embarque a l’aube dans un bus local pour un trajet mémorable, accompagné d’Asta, mon guide.
Dans les premières lueurs de la journée, cette rue-terminale de bus est un vivier d’hommes et de femmes de tout bord, dont les activités et les costumes sont digne d’un article a part entier. L’organisation ici plus qu’ailleurs est inexistante et Asta, heureusement très attentif, parvient a trouver le bus et plus délicat, une place. Le désordre est total et les locaux habitués a ces transports anarchiques ne pensent qu’a leurs propre fesses. Même les précautions dut a l’âge de certains passagers sont oubliés aux profit du “confort” personnel. Ainsi, une vieille mamie peinant a s’assoir est reconduite sans égards, les touristes se défendent comme ils peuvent pour grappiller un bout de sièges dans l’indifférence générale, les enfants se vautrent sur leurs parents et je me retrouve derrière le chauffeur sur un tabouret fait pour un marmot de 5 ans. Comptant alors pas moins de 8 personnes me touchant d’une façon ou d’une autre, le bus démarre dans une promiscuité anatomique sans égal.
Les places sur le toits sur les sacs, me semblaient séduisante jusqu’a ce que mon guide se fasse faucher par un câble électrique durant que son voisin moins chanceux tomba 3 mètres plus bas, s’ouvrant le crane sur le chemin caillouteux, au dessus d’un précipice. Ainsi se déroula ce trajet de 12h, sur des routes qui n’en sont pas, au dessus de ravins sans fond, entre les pieds puant d’un compagnon paysan et la morve d’un ado se reposant sur mon épaule. Les douleurs récurrente au différent niveau de mon dos m’ont poussé, non avec une certaine fierté, a décerner a ce transport, la palme du pire trajet de mon voyage, au sein d’un classement déjà de bon niveau. Mais rien n’égal le contact des transports collectifs bon marché lorsqu’on veut se mêler a une population. Ces moments là valent de l’or, bien que l’inconfort soit véritablement une épreuve physique.
9 jours de trekking dans les montagnes de l’Himalaya, sans routes, sans voitures et sans bousculade. Un délice pour les oreilles, une régénération pour l’esprit. J’ai tant désirer ces montagnes qu’elles me semblent déjà familière. Nous grimpons entre de petits villages de pierres, les porteurs et les mules, les the-house pittoresque, et les cascades glaciales des hauts sommets du Tibet. A cette latitude, le paysage change de façon radical. Une sorte de jungle tropicale se développe jusqu’a presque 2000 m, puis celle-ci se transforme en foret de conifères longilignes, aux couleurs de mousses et de lichens. L’air se fait plus frais, la chaleur du feu de bois devient plus essentielle.
Encore l’escalade, les forets s’étirent, se clarifient pour laisser de vastes plaines embrasser les plus hauts sommets alors a peine visible. Les étendues d’herbes fraiches deviennent alors plus aride, brulées par le froid et le vent. A plus de 3500 m les parois de la vallée ne sont plus que des amas de cailloux noirs, le vent balaye d’un air glacial l’épaisse fourrure des yaks tandis qu’une brume légère monte timidement, recouvrant bien vite les cimes voisines.
Dans cette béatitude naturelle, j’aime m’isoler. Me perdre un peu plus loin, écouter le paysage m’offrir ce dialogue secret d’un ordre naturel évident et laisser mon esprit se vider de notre dénaturalisation.
Mon temps alors, gravite autour de la course du soleil, et me renvoi comme un condensé d’essentiel, un sens profond du présent: sans envie, sans ambition et sans névrose. Juste une beauté disponible dans la plus grande simplicité. Le sens profond de nos vies n’est peut être pas caché, il s’étend tout les jours devant nous sans que cela ne retienne aucune attention de notre part. Voici une chose qui m’a poursuivi de nombreuses années.
Il y aurait tant a dire. Tant de chose a faire partager. Tant d’expérience a transmettre. Les descriptions de paysages pourraient m’inspirer nombre de lignes, l’ambiance des villages, l’accueil des népalais mériterai qu’on s’y attarde. Dans la pluralité de ces circonstances, les rencontres d’autres touristes ont changé a jamais ma façon d’aborder certain sujet.
Il y a cette ascension difficile du Cherko Ri à 4984m. Arriver au petit matin au sommet d’une montagne plus grande que le Mont-Blanc, du pain et du fromage de Yack dans une main et un thermos de thé dans l’autre, et constater que même a cette hauteur les montagnes vous dominent, minimalise notre narcissisme existentiel tout en recentrant l’esprit sur la beauté simple, naturelle, originelle oserai-je dire. Il m’apparait alors que l’écologie est une question centrale de notre monde: pour préserver nos ressources bien sur, mais aussi afin de se réapproprier un des chemins spirituel de l’essentiel et de l’émerveillement.
2 jours plus tard, sur une crête plus sauvage du coté de Laurebina, des sons m’interpellent alors que je dine, blottit contre un poil, dans ce gite familial où je suis seul. Avec l’aide d’Asta, je pénètre avec précaution dans une petite maison en contre bas. C’est exactement l’idée que je me fais d’une taverne, avec une vingtaines de personnes, des tonneaux et du bois. Il m’annonce auprès d’un doyen au centre de la pièce, prés du poil. Celui ci se retourne et me demande de m’assoir prés de lui avant de m’expliquer que j’assiste a l’enterrement de son frère. Une cérémonie des morts en fait. 3 jours après le décès, les Lamas viennent chanter les louanges du défunt et lui montrer son nouveau chemin. Car le mort ne sait pas qu’il l’est.
Je suis très gêné d’avoir ainsi percé l’intimité de cette famille. Mais eux, sont honoré de ma présence. Les prêtres bouddhistes chantent des psaumes, agitent des clochettes dans une épaisse fumée de bois et d’encens. Puis des fagots de bambous sont enflammés. Tout le monde se lèvent et s’affairent. Je m’isole dans un coin sans comprendre cette soudaine agitation. Alors, dans un cortège de flammes, d’ombres et de braises, un autel est enflammé et les hommes le sortent a bout de bras en hurlant. Ils traversent la plaine avant de disparaitre dans l’épaisse noirceur d’une nuit sans lune. Un instant burlesque et touchant que de voir ces gens forgés par l’expérience, se compromettre dans ce jeu d’enfant. Nous n’avons alors plus le droit de sortir afin d’empêcher une probable possession de l’âme, jusqu’a ce que nous trinquions joyeusement à l’alcool de riz chaud. Une expérience hors du commun.
Quelle chance d’avoir pu assister a cette cérémonie et quel sens du partage. Il fut passionnant de vivre une tradition que je n’avais pu que lire. Beaucoup de superstitions, de rituels et de soumissions. Mais ce qui est certain, c’est de voir avec quelle dialectique ces gens abordent la perte d’un proche. Il y a une acceptation de la mort comme élément essentiel de la vie. C’est une sorte de libération ou le commencement d’une nouvelle étape. Pas de pleurs ici. Aucune place pour la tristesse. Naturellement, ces gens doivent avoir du chagrin. Cela dit, il s’en suit une célébration pas un enterrement, dut moins pas dans notre sens catholique du terme. J’ai alors eu la sensation que nos rituels chrétiens consistaient a accentuer encore la tristesse que l’on avait, en maintenant des notions d’inconnue et de tabous. Leurs visions m’a offert, sinon une meilleure compréhension, au moins une preuve de la ferveur que peut susciter la mort dans les hautes montagnes de l’Himalaya.
Je contemple une nuit étoilée en décryptant ces expériences. Nous sommes loin des enseignements du Bouddha dans ces montagnes. La encore, la religion a dévié de son aspiration centrale. Néanmoins, elle offre a ces gens la philosophie nécessaire pour vivre pleinement la mort, alors même que notre occident essai d’y échapper.
Je suis pleinement satisfait de cette randonnée. Ces montagnes sont réellement impressionnante et l’atmosphère qui s’en dégage m’apaise et me ressource comme nul autre endroit. Je rentre sur Katmandou heureux, en ayant conscience du chemin qu’il me reste a parcourir avant d’être capable de me réintégrer en France. Une nouvelle phase vient de s’amorcer.